Celui qui aura été surpris par le clip Take Me To Church d’Hozier fera une attaque cardiaque en découvrant Father Project de Tooji. Le baiser échangé par les deux hommes du premier clip n’est qu’une boutade comparé à la relation sexuelle du prêtre et le chanteur norvégien, scène lancée devant les yeux éblouis d’une communauté de fidèles. Finissant sur le symbole de l’égalité, prônant le pouvoir des droits humains sur la religion, ce clip est le reflet d’un siècle où la tolérance semble être devenue sa devise. Mais la réalité est nuancée et les réalisateurs de clips vidéo aiment à nous les faire découvrir en musique.
Il n’est pas question ici de transsexualité, certains artistes ont su la mettre en exergue comme Goldfrapp avec Annabel, Christine And The Queens et son clip Loving Cup, ou encore l’artiste Perfume Genius. C’est pourtant un sujet similaire, un désir de s’émanciper du regard des autres. Cette soif d’une liberté sexuelle est parfois identitaire, là-dessus, les avis divergent. Rares sont les vidéos mettant en scène deux femmes amoureuses. Les lesbiennes attisent beaucoup moins l’intérêt, elles sont souvent la source d’une passion dévorante. Stranger de Goldfrapp ou encore A Little Death de Neighbourhood closent le récit par la mort de l’une et des scènes tendres, aux caresses langoureuses, l’une meurt dans un bain, l’autre enterrée sous le sable. Victimes d’un incube à la beauté fatale, leurs morts sont la cause d’une société qui pousse à la culpabilité, et la culpabilité au meurtre. Fini la femme-vampire du XIXe siècle, cause du mal humain, porteuse de maladie, tueuses d’hommes. Au revoir l’épouse modèle au service du charmant époux. Les femmes s’entretuent et s’aiment. Pour les hommes, l’histoire est différente. Leurs bourreaux sont autour d’eux.
Récemment, le groupe Aquilo a publié Calling Me où un jeune danseur est persécuté par trois voisins. Son homosexualité est envisagée par son approche tactile avec l’un de ses collègues masculins et ne semble donc pas la matière première du clip. Cependant, ce rejet brutal lui fait perdre confiance en lui et le pousse à ce conduire en victime. Agir et se tenir comme une pauvre chose attirent les amoureux de la violence. C’est seulement pendant un instant où le temps cesse qu’il arrive à se libérer grâce à la danse. Ce moment d’enchantement n’a qu’une seule signification, détachée de toute préférence sexuelle. Ce qui définit le jeune homme n’est pas ce qu’il est mais ce qu’il fait. Que jugeons-nous, ce qu’on voit et qu’on entend ? Ce cas a un gout sucré par rapport à Gay Goth Scene de The Hidden Cameras. Datant de 2013, ce clip pointe du doigt une réalité plus dure. Des jeunes homosexuels sont victimes d’agression et finissent par se suicider. Le héros au style gothique est visiblement mal dans sa peau. Il rêve que sa mère lui témoigne de l’amour mais elle est préoccupée par sa petite sœur. A l’école, ses camarades se moquent ouvertement de lui, lui jettent des ballons remplis de peinture. Le garçon secrètement attiré par lui subit la pression des jeunes monstres et l’incitent à faire de même. Le rejet est total et aboutit au suicide du garçon trop différent pour être accepté. Encore une fois, son homosexualité est envisagée, non par le héros même, mais par le regard attendrissant du jeune blond et par l’imitation d’une fellation par une gamine témoin de l’échange visuel. Le début laissait entrevoir le poids de la culpabilité de tous les protagonistes ainsi qu’aux larmes de la seule personne qui le comprenait. Semblable à College Boy d’Indochine, on juge ici le laxisme et l’aveuglement des professeurs et des camarades. L’enseignement est primordial mais il est urgent d’instruire les élèves à la tolérance. Un gamin timide ne peut pas s’imposer face à des terreurs qui auront de l’influence chez leurs autres camarades. Il serait peut-être ridicule de penser qu’un clip vidéo comme celui-ci puisse être diffusé lors d’un cours dans les collèges français. Toutefois, il ne faut pas oublier que nous retenons plus de chose avec le plaisir et de façon ludique que de manière mièvre.
Il existe tout de même des clips plus réjouissants. First Time He Kissed A Boy des Danois Kadie Elder agit comme un contrepoids face au titre précédent. Cette fois-ci, sa préférence est bien visible et finit par un double baiser avec l’être aimé. La volonté est de montrer que l’amour est salvateur, qu’il faut chercher à s’émanciper du regard d’autrui, sinon le bonheur passe à la trappe. The Love You Have In You d’Asbjorn, danois aussi, rejoint ce même élan en mettant l’accent sur le plaisir charnel, sans tomber dans l’outrance. Cependant, cette fierté d’être gay ne peut être pleinement comprise quand il s’agit de comédiens inconnus. Il faut un chanteur ouvertement homosexuel pour toucher l’auditeur. Sam Smith, Eli Lieb ou encore Rudi Douglas sont les exemples parfaits. La voix du premier résonne dans toutes les têtes. Le Britannique a marqué les esprits avec Lay Me Down. Clip qui a récolté plus de 70 000 000 de vues, il met en scène le chanteur les mains jointes à ceux de son époux fictifs. Ce moment très court s’inscrit dans cette nouvelle société occidentale qui ouvre le mariage à tous. Cette vidéo n’est pas destinée qu’aux homosexuels désireux de vivre cette histoire, mais aussi à un large public sans distinction de son orientation sexuelle afin de prouver que l’amour est universel. Eli Lieb, ce jeune Américain au charme ravageur n’est pas en reste, faisant de l’homophobie son ennemi de toujours. On ne compte pas les différents clips où il se représente avec un jeune homme dont il est visiblement très épris (Young Love, Zeppelin). Ambassadeur de l’assurance Allstate et de la campagne Allstate LGBT Campaign, il devient un des héros du spot animé et très mélodieux Safe In My Hands, hymne à la tolérance et à la liberté. En effet, mettant en scène un autre jeune homme à la main disproportionnée, il est victime de la moquerie des autres et son invalidité fait de lui un paria. Il trouve le bonheur avec Eli, doté lui aussi de cette anomalie. Se terminant par ces mots : « être visible ne doit pas te laisser cette impression d’être vulnérable, tout le monde mérite d’être entre de bonnes mains », ce clip tend à déculpabiliser l’homosexuel qui prend souvent sa sexualité comme un handicap. Rudi Douglas détonne avec toute cette poésie de la joie amoureuse. L’Irlandais l’a assombri avec He Won’t Swim in my Ocean avec une certaine douceur et une sincérité qui transparaissent à travers son regard de cocker. Quel est donc le message ? Les homosexuels ont aussi des peines de cœur, car l’amour est universel, comme la souffrance.
Qu’en est-il de la France ? On ne peut pas se mentir longtemps, il n’existe pas de clips qui remplissent ces différents cas précédemment énumérés. Notons tout de même, à cet égard, le titre La Différence de Lara Fabian. Il ne faut pas l’oublier mais la dernière génération ignore ce succès de l’interprète belge. La France n’est pourtant un pays qui manque de chanteurs affirmant leur homosexualité. Leurs coming out ont été contagieux comme ils ont permis à certains individus à changer leurs avis sur l’homosexualité. Mais il y a clairement un retard que le mariage pour tous n’a pas su renverser. Est-ce notre culture trop latine qui empêche les professionnels de la musique à créer une image forte en faveur des homosexuels ? En Italie, le groupe Libra a délivré un clip (Sotto Pelle) dont les héros sont deux jeunes hommes visiblement très attachés sans aller dans la provocation ni des scènes sexuelles. Encore plus loin, au Chili, Javiera Mena une jeune artiste ouvertement homosexuelle et appréciée est apparue dans Sincronia, Pegaso en train d’embrasser une femme. Entre un pays assez conservateur et un autre qui a accepté depuis janvier 2015 l’union civile pour les homosexuels il y a certes une différence. Mais la France se doit d’être exemplaire. Nos artistes et/ou les maisons de disques semblent avoir peur de choquer le public pourtant averti et conciliant. Il ne serait pas honteux de voir Emmanuel Moire embrasser un homme ou encore Mika en enlacer un sur L’amour Fait Ce Qu’il Veut (si le clip venait à naître). Cette absence s’explique aussi par une crainte d’être cantonné comme chanteur pour gays. Leur désir est de toucher un public plus large, leur vie sexuelle ne regarde qu’eux. Il faut cependant énoncer ce chiffre tragique de 2014 : le taux de suicide en France est quatre fois plus élevé chez les lesbiennes, gays, bisexuels et les transsexuels. Ce fait peut glacer le sang, mais il est le reflet d’une société qui n’est finalement pas si tolérante et sensible au mal-être d’un pan de la population qui n’est différente que par son choix amoureux et sexuel.
Bien que tous ces clips ont des intentions louables, soucieux du bien-être des homosexuels, clairement à leur service, leur diffusion est souvent limitée à Internet. Toutes les générations ne se valent pas, le média télévisuel est le plus souvent privilégié par nos parents et nos grands-parents. C’est pourtant à eux que le message doit être le plus dirigé. Néanmoins, il est certain que certains clips choquent. La violence et le sexe attirent et provoquent certaines contestations (parfois louables). J’en finis par les dernières strophes d’une chanson datant de 1972 de l’artiste le plus militant du XXème siècle Charles Aznavour : « et je précise que c’est bien la nature qui est responsable si je suis homo comme ils disent ».