En mettant en scène le rêve de milliers d’enfants avec Jurassic Park, Steven Spielberg marqua au fer rouge l’histoire du cinéma. Il réalisa l’un des plus grands films de sa carrière tout en révolutionnant les techniques utilisées pour les effets spéciaux. Vingt deux ans après la sortie du premier épisode, un quatrième épisode sort dans nos salles : Jurassic World. On vous livre notre avis, accompagné d’un retour sur les origines de la saga.
« Dieu crée les dinosaures. Dieu détruit les dinosaures. Dieu crée l’homme. L’homme détruit Dieu. L’homme crée les dinosaures… »
Tout commence en 1981. Michael Crichton, déjà célèbre romancier, travaille à l’écriture d’un scénario destiné à la télévision. L’histoire devait tourner autour de travaux génétiques et de la naissance d’un ptérodactyle. Malheureusement, l’auteur, en panne d’inspiration échoue. Il y revient maintes fois tout du long des années 80 mais sous la forme d’un roman. L’écrivain arrive enfin à une version finale. Le mauvais sort joue encore une fois contre lui car les premiers retours critiques lui sont défavorables. Il arrange son travail et en novembre 1990, le roman Jurassic Park voit enfin le jour. Parallèlement à cela, le romancier est en contact avec Steven Spielberg afin d’œuvrer pour ce qui deviendra plus tard la série Urgences. Ce dernier lit la dernière parution de son collègue et tombe sous le charme. Après négociations, les droits du livre sont alors vendus aux studios Universal et Amblin Entertainment (la société de production du réalisateur d’E.T. l’extra-terrestre) pour quelques deux millions de dollars, avant même sa publication.
La production du blockbuster préhistorique fut lancée.
Malgré quelques soucis de casting (pressenti dans le rôle de John Hammond, Sean Connery demande un salaire trop élevé) et de script (Crichton a du mal à transposer son œuvre dans une adaptation cinématographique), les plus gros problèmes restèrent à venir. En effet, donner vie à une espèce éteinte depuis quelques millions d’années fut un autre défi que d’engager des acteurs. Mais Spielberg eut une idée très précise des techniques qu’il compte employer afin d’animer ces monstres disparus. Dès 1991, les travaux commencèrent et les techniciens s’affairèrent à créer des robots animatroniques, sous la direction du spécialiste en la matière, Stan Winston, dont le travail sur la Reine alien dans Aliens fut incroyablement salué. Pour les plans larges des dinosaures, c’est l’équipe de Phil Tippett qui s’en chargea. Leur objectif visait à créer des figurines en stop-motion mais une petite équipe se désolidarisa du groupe afin de mener des expériences pour un rendu en images de synthèse. Malgré des résultats encore très brouillons, la productrice Kathleen Kennedy (aujourd’hui présidente de la société Lucasfilm, soit dit en passant) et le réalisateur décidèrent de leur allouer un important budget supplémentaire. Enfin, pour allier les deux équipes (celle employant des animateurs traditionnels et l’autre employant les infographistes), une nouvelle technique fut créée : le D.I.D. ou Direct Input Device. Le but était de manipuler une armature mécanique équipée de capteurs. Ces derniers, placés sur les articulations, enregistraient les données et les envoyaient à la société Industrial Light & Magic, filiale de Lucasfilms et spécialisée dans les effets spéciaux. Finalement, ce procédé ne fut que très peu utilisé et les deux tiers des plans en images de synthèse étaient animés par des animateurs d’ILM. Et pour rendre le tout crédible et « paléontologiquement correct », dixit Spielberg, ce dernier engagea Jack Horner, soit l’un des plus éminents paléontologue en ce qui concerne les grands sauriens de l’ère secondaire.
Une fois le tournage fini, le réalisateur s’envola en Europe pour débuter le tournage de La Liste de Schindler mais supervisa la postproduction à distance. Seul bémol, il manqua pour la première fois les enregistrements de son compositeur attitré, John Williams, dont la musique emblématique résonne encore dans le cœur des fans. Au final, les résultats furent là. Les expériences et autres essais sur les dinosaures mécaniques rencontrèrent un vif succès en salle, dès sa sortie le 11 juin 1993. Doté d’un budget de plus de 63 millions de dollars, Jurassic Park en rapporta plus 900 millions au box-office mondial dont 400 rien qu’aux Etats-Unis. En France, le film attira plus de 6 millions de spectateurs. Au-delà de son succès commercial, la technique fut récompensée par trois Oscars en 1994 : Meilleurs Effets visuels, Meilleurs Effets Sonores et Meilleur Son.
Toujours considéré comme l’épisode le plus abouti, le premier volet de la saga marqua les esprits autant pour sa technique que sa réalisation. Il en deviendra même l’un des piliers de l’univers de Spielberg. Deux épisodes lui firent suites. Le Monde Perdu : Jurassic Park, adapté d’un deuxième roman de Michael Crichton, vit le jour le 23 mai 1997. L’effet de surprise ne fut plus au rendez-vous, les acteurs phares du premier opus manquèrent à l’appel mais la réalisation de haute volée fut à nouveau présente. Certaines scènes restent encore aujourd’hui dans les anales de l’histoire du cinéma, notamment l’attaque du camion par les deux Tyrannosaures ou le déchainement d’une mère T-Rex dans les rues de San Diego, faisant irrémédiablement écho au Monde Perdu de Harry O. Hoyt, sorti en 1925. Deuxième film de la franchise, deuxième réussite.


Toujours partant pour faire du profit, Amblin Entertainment et Universal s’accordèrent rapidement à mettre un troisième épisode en route. Le réalisateur des deux précédents céda son poste de metteur en scène mais conserva celui de producteur. Malheureusement, Crichton se désolidarisa du projet par manque de motivation concernant l’écriture d’un troisième roman Jurassic Park. Les commandes furent données à Joe Johnston, qui avait déjà signé Jumanji ou encore Chérie, j’ai rétréci les gosses, quelques années auparavant. Celui-ci prit des risques, et non des moindres. Le futur réalisateur de Captain America : First Avenger décida, enfin, de mettre en scènes des ptéranodons, présents dans le premier livre mais absent des adaptations cinématographiques, au grand bonheur des fans. Puis, pour renouveler le frisson, il décida de créer un monstre encore plus gros que le Tyrannosaure : le Spinosaure, plus grand, plus violent, plus vicieux. Johnston ira même jusqu’à sacrifier le T-Rex pour asseoir la souveraineté de sa nouvelle créature, le nouveau roi sur l’île. Malheureusement, bien que le film fut un beau succès commercial à sa sortie en été 2001, les amoureux de la saga allèrent même jusqu’à renier ce dernier opus en prétextant un scénario sans grand intérêt et des scènes stupides (Alan Grant communiquant avec les raptors).
Quoiqu’il en soit, la trilogie Jurassic Park marqua autant l’industrie cinématographique que la pop-culture. Donner vie à des dinosaures n’est pas chose aisée mais Steven Spielberg le fit à la perfection, comme à son habitude. Ce dernier fit rêver un bon nombre d’enfants avec ses créatures préhistoriques et notamment le jeune Colin Trevorrow, âgé de 17 ans à l’époque du premier épisode, qui reprend aujourd’hui le flambeau.
Jurassic World : le retour du Roi
Malgré le tragique incident survenu vingt ans auparavant, le Parc Jurassique a enfin ouvert ses portes sous le nom de « Jurassic World ». Le parc à thème engrange des milliers de dollars de profit, les dinosaures sont une attraction lucrative et ces derniers font désormais partie intégrante du paysage faunique de la Terre. Malheureusement, l’effet de surprise commence peu à peu à s’estomper et ces monstres préhistoriques ne sont plus autant attractifs qu’auparavant. Pour remédier à ce problème, les dirigeants du parc décident de créer génétiquement leur propre dinosaure : l’Indominus Rex. Pas de chance, celui-ci, aussi dangereux qu’intelligent, s’échappe et s’apprête à semer le chaos sur Isla Nublar.
Pour ce quatrième volet de Jurassic Park, la production fait peau neuve et tente à tout prix de faire oublier la catastrophe critique du troisième épisode. Bien qu’un Jurassic Park 4 était dans les cartons depuis 2002, la machine est véritablement lancée en 2011 lorsque Steven Spielberg confirme le projet au Comic Con’ de San Diego. Les premières ébauches de script écrites par John Saynes et William Monahan évoquaient des chimères mi-homme, mi-dinosaures, partant combattre des narcotrafiquants. Mais le tout est rapidement réécrit pour un résultat moins délirant. Ce sont les scénaristes Rick Jaffa et Amanda Silver (auteurs des scénarios du reboot de La Planète des Singes mais aussi le prochain film de Ron Howard, Heart of the Sea) qui livrent une seconde version de scénario. Pour ce qui est de la réalisation, les commandes sont données à l’inexpérimenté Colin Trevorrow à qui l’on devait le charmant Safety Not Guaranteed, en 2012.
Dès le début du film, le fan se trouve en terrain connu sans pour autant que le néophyte ne se retrouve perdu. Les quelques accords de John Williams qui ont contribué au culte de la saga sont là pour nous rappeler les multiples tragédies liées à Isla Nublar et Isla Sorna mais très vite le film se détache de ses prédécesseurs. Désormais ouvert, le parc accueille plus de 20 000 visiteurs par jour et tout du long de la première demi-heure nous faisons parti de ces touristes. Comme les deux enfants Zach et Gray (nouvelles têtes à claques, remplaçant Tim et Lex), nous suivons plus ou moins le parcours d’un touriste lambda: visite des laboratoires, spectacle marin du mosasaure, nourrissage du T-Rex, … Cette vision à hauteur d’homme permet de nous familiariser avec l’excellent travail fait sur les CGI (« Computer-Generated Imagery » soit les effets spéciaux) qui permettent de donner vie à ces animaux disparus depuis quelques millions d’années. Ces derniers sont merveilleusement bien reconstitués et se fondent parfaitement dans l’univers ambiant du parc. Malheureusement, ce point de vue possède un défaut, celui de trop centrer l’action ce qui restreint l’angle de vue du spectateur. On avait déjà relevé ce petit point noir dans Godzilla de Gareth Edwards et cela semble devenir une mode pour les films de monstres. Certes, voir à travers les yeux des personnages accroit le sentiment d’immersion et la grandeur des dinosaures mais cela conduit surtout à la frustration de ne pas voir les créatures dans leur ensemble.
Qui dit blockbuster, dit forcément casting de haute volée et c’est Chris Pratt qui tient les commandes. Désormais incontournable dans le rôle du « type cool » depuis son rôle de Star-Lord dans Les Gardiens de la Galaxie, il campe ici un dresseur de dinosaures ayant un passé de militaire. Son personnage nous confirme aussi la dimension divertissante du film. Non sans humour, lui et ses acolytes (l’internationnal Omar Sy et la charmante Bryce Dallas Howard) devront à tout prix tenter d’arrêter la menace Indominus Rex au prix de quelques scènes d’un kitsch assumé (la séquence à moto avec les raptors) ou d’un humour parfois un peu trop lourd.
Mais si Jurassic World est déjà un succès en salle (il est le meilleur démarrage de tous les temps aux Etats-Unis depuis quelques heures), c’est notamment grâce à l’aura de la série. Ayant grandi avec les œuvres de ce dernier, Colin Trevorrow a su allier deux éléments fondamentaux des grandes sagas : respect et modernité. Ainsi, les adultes ayant découvert Jurassic Park il y a 22 ans se feront autant plaisir que les enfants découvrant la franchise. Tout au long des 124 minutes de films, les plus grands saisiront les allusions et autres références aux épisodes précédents. Car oui, le fan service est également au rendez-vous et intelligemment placé. Toujours au second plan, les allusions sont subtiles mais foisonnantes ce qui fait plaisir aux aficionados sans pour autant désarçonner le novice avec des clins d’œil trop lourds : une course avec un fumigène rouge à la main, un squelette de Spinosaure détruit par un autre dino bien connu, des plans quasi-identiques avec ceux des précédents volets, etc.
Colin Trevorrow remplit donc à merveille le cahier des charges pour cette fausse suite de Jurassic Park. Les fans sortiront sûrement ravis de la séance et les plus jeunes s’en donneront à cœur joie avec cette superproduction hollywoodienne.
Article à la fois plaisant et intructif. Je ne peux que féliciter ce « Simon » si c’est bien là son nom.