A 72 ans, le photographe réanime son œuvre. The Smell of Us, arrière petit fils de Ken Park, de la dynastie des Kids, ne rompt pas avec la tradition familiale. Ses enfants ne sont pas faits de deux jambes, de deux bras et d’une tête mais de skate, de sexe et de violence.
Math et J-P sont deux jeunes skateurs inséparables. Incompris par leurs parents, ils fuient leur quotidien médiocre dans la drogue et la prostitution, à l’image des adolescents qui les entourent.
Au commencement, il y a l’œuvre socio-cinématographique de Larry Clark. Quelque peu controversée, elle est bannie de Cannes et de nombreux festivals. En 2008, le martyr du cinéma prend un jeune étudiant français dans ses filets afin de produire le scénario de son nouveau long-métrage. Pour The Smell of Us, Mathieu Landais mènera une enquête minutieuse au sein du groupe des jeunes skateurs du Palais de Tokyo. Certains, comme Lukas Ionesco (Math), Hugo-Béhar Thinière (J-P), Diane Rouxel (Marie) et Maxime Terin (Toff), resteront dans l’aventure, influençant leurs alter ego, tandis que d’autres quitteront le navire avant le début du tournage. Larry Clark veut rendre hommage à la jeunesse et « montrer sa naïveté, son désarroi, ses égarements, et plus encore qu’auparavant, sa solitude« . Sur le tournage, le chaos prend place, et les partis pris du réalisateur installent un profond malaise poussant les acteurs à faire grève. Bref, The Smell of Us est pervers, choquant, beau et absurde, à l’image du père qui l’a façonné.
Clark voit en ce film son œuvre la plus aboutie, la plus autobiographique. Malaise. Premièrement, le vide dans le scénario me semble être la plus grande faiblesse du film. La prostitution est un acte fort, ainsi que boire de 10 h à 3h du matin tout en s’octroyant un petit rail de cocaïne entre deux figures de skate. Pourquoi Math se comporte-t-il ainsi ? Cela reste assez flou jusqu’à ce que le personnage de sa mère, incroyablement incarné par Dominique Frot, folle et alcoolique, apparaisse et installe une gêne mémorable. C’est alors qu’un pont se crée entre certaines scènes, en particulier celle du fétichiste des pieds joué par Larry Clark, et cette séquence avec sa mère, dans lesquelles les deux prononcent la même phrase : « mon petit garçon ».
Le manque d’amour pourrait être une piste, pour comprendre Math, mais cela semble trop simpliste et incohérent quand on sait que ce réalisateur ne fait jamais dans le sentimental ou la psychologie. Ce personnage est mystérieux, et surtout vide, comme une poupée avec laquelle un vieux fou jouerait. Math, selon Larry Clark, serait une sorte de chérubin subversif (les métaphores permanentes aux figures célestes sont assez éloquentes). L’usage de ces métaphores amplifie cette impression de perversité du réalisateur qui manipule une jeunesse qui n’a rien à voir avec les vrais jeunes d’aujourd’hui.
D’autre part, ce film joue sur la réflexivité. Réflexivité, qu’incarne Toff d’une part, et les clients âgés des skateurs de l’autre. Il y a aussi « Rock Star« , le clochard du Palais de Tokyo.
Toff, le jeune skateur, le plus sympathique, le reflet du réalisateur. Armé de son portable, il filme tout, tout le temps. Les scènes de vols comme les scènes de sexe. Pour nourrir cette incarnation, Larry Clark a eu l’ingénieuse idée de demander à Maxime Terin de filmer aussi les scènes dans lesquelles il n’apparaît pas. Il est le double de l’œil de Clark dans le film comme sur le tournage. Dans cette première scène, le photographe réalise un mash-up avec ses propres images et celles de Toff. Mais la particularité qui rend l’idée intéressante, c’est qu’à ce moment là, le portable de Toff enregistre partiellement les images. Le rendu serait inutilisable pour la plupart des metteurs en scène, mais pas pour Larry Clark, qui voit en cela un rajout de sens et de chaos à cette scène de rave party.
Les autres preuves de cette réflexivité engagent d’avantage le réalisateur. A travers ces individus, il se vend tout entier. Cette jeunesse n’est pas une fin mais un outil, qui se révèle à travers la prostitution, lui permettant de comparer deux chaires : la vieille et la jeune. Les clients âgés, aux corps mous et pervers, sont source de dégoût pour ces jeunes dont ils se servent. Le schéma du film se répète, et c’est en cela qu’il fait des étincelles. Ce n’est pas du souffle des acteurs que le film respire, ce n’est pas de leur sueur qu’il transpire, c’est de celle de Larry Clark qui se délecte de leur chaire fraîche, et fait ainsi son portrait de la plus sincère et la plus écœurante manière qui soit.
Tantôt vieux clochard puant qui se pisse dessus, tantôt fétichiste des pieds, le vieux pépé rockeur hante aussi son œuvre par les choix musicaux. Bande-originale qui mêle à la fois la house et la techno aux artistes qui ont bercés son adolescence inachevée, tels que Bob Dylan, John Lee Hooker ou Georges Benson. Ce curieux mélange fonctionne, et donne aussi de la consistance à une autre idée selon laquelle Larry Clark serait en crise existentielle. Pourquoi se servir des jeunes, pourquoi en faire des prostitués, des vendus, des insensibles, des marginaux, des malheureux, des orphelins ? Serait-ce une sorte de revanche d’un réalisateur qui ne fait plus partie des leurs ? Une scène est particulièrement révélatrice de cet aspect. Rock Star, SDF incarné par Larry Clark, se fait tatouer sur le corps la même tête de mort que Lukas Ionesco, Math dans le film.
Il est assez difficile d’évaluer cette œuvre tant elle met le spectateur mal à l’aise de par ses scènes de sexe brutales, filmées en gros plan et qui semblent gratuites. Gratuité accentuée par le manque de profondeur des personnages et de leurs actes (voir l’image ci-dessus, une scène absurde dans laquelle ils mettent le feu à une voiture sans raison). Elle est intéressante pour ce qu’elle révèle de son auteur, doté d’un instinct primaire que l’on ne peut pas intellectualiser. Cependant, elle empêche toute forme d’identification aux personnages, qui représentent une jeunesse qui n’existe que dans l’œuvre de cet éternel adolescent.
Justement, j’ai été initié il y a pas longtemps à Larry Clark avec Bully. Ton avis fait pas mal le tour de son dernier film pour que je penche le pour et le contre de si je le regarde!
Merci ! j’espère que tu iras le voir si tu ne l’as pas vu, il vaut quand même le détour !