Par un soir de juillet, alors que j’observais, impassible, le spectre noir de la nuit engloutir les immeubles et étouffer le souffle rauque de la circulation, je fus frappée d’une illumination soudaine : et si la substance même du cinéma d’anticipation de ces dernières années n’était que la preuve de la chute de notre société et annonçait l’avènement d’une nouvelle ère ? – en fait, ça n’était pas une illumination, mais d’un coup dit comme ça, on dirait que je réfléchis un peu.
Je m’explique : alors que comme l’avait prédit Marty McFly en 1985, on devrait avoir des skate-boards qui lévitent et des voitures volantes à l’automne 2015, il semble que les prédictions de nos contemporains pour le futur (disons, pour dans 20 ans minimum) soient un peu moins sympathiques. Interstellar, Oblivion, 2012, After Earth, Wall-e… et les adaptations de livres « dystopiques » : Hunger Games, Divergente, Labyrinth et j’en passe, tous montrent un futur destructeur, un monde post-apocalyptique régi par la violence, des régimes dictatoriaux bien installés… Bien sûr, les dystopies et les scénarios dantesques ne sont pas nouveaux : H.G. Wells, La Guerre des Mondes (1898) ; Aldous Huxley, Le Meilleur des Mondes (1931) ; George Orwell, 1984 (1948) ; Ray Bradbury, Fahrenheit 451 (1953) ; Richard Matheson, Je Suis Une Légende (1954)… et la liste est très, très longue. Cependant, il est intéressant de remarquer que tous ont été écrits dans un contexte sociopolitique d’après-guerre ou de crise importante.

Dans les années 1990, avec la fin de la guerre froide et le déplacement des conflits vers des zones un peu moins craignos pour les citoyens des petits peuples ouest-européen et américain, l’avenir semblait un peu plus verdoyant. Les années 2000 et les progrès informatiques annonçaient des choses extraordinaires – comme Daredevil ou Green Lantern… HAHA. – bref, une société de divertissement, une génération loin de la guerre, et des peuples qui avaient appris de leurs erreurs. Idyllique n’est-ce pas ? Et puis, moins de 20 ans plus tard, on repart dans des visions fatalistes et glauques à souhait. Mais cette fois, fi des extraterrestres pas cool-cools qui veulent conquérir la terre : le réchauffement climatique fait peur, Big Brother a investi notre écran avec de la télé-réalité aux images pas très cathodiques, et les extrémistes prennent de plus en plus d’ampleur, contexte de crise oblige. Alors aujourd’hui, le cinéma d’anticipation semble s’articuler principalement autour de deux thèmes : le totalitarisme, et la catastrophe écologique. Tous deux comme conséquences directes ou indirectes des actions humaines. Si Godzilla se réveille aujourd’hui soixante ans après sa première apparition au cinéma, et dix ans d’absence de nos écrans, en déchaînant les éléments contre les humains parce qu’il a « mal à sa Nature », ce n’est pas un hasard.

Globalement, les œuvres actuelles nous montrent une large perte de confiance dans l’espèce humaine et dans sa capacité à rebondir, dans le contexte de crise économique et d’incertitude écologique qui est le nôtre. En réalité, il semble que l’humanité ait atteint un tel degré d’évolution que sa seule option pour aller de l’avant est de tout détruire pour repartir sur de nouvelles bases. Et cela n’est pas sans rappeler le cas de civilisations bien plus anciennes : Grecs, Romains, Égyptiens, peuples Germaniques, Asiatiques, précolombiens… tous ont vécu selon un schéma cyclique de naissance, d’apogée et de déclin. Et toute nouvelle civilisation se construit sur les ruines d’une autre, tel un phœnix qui renaît de ses cendres. Si tout ce qui nous entoure suit un fonctionnement cyclique, y compris l’être humain (cycles lunaires, climatiques, des saisons, reproductifs, de la vie, du sommeil, du carbone, du glucose…), il n’est pas improbable que nos sociétés fassent de même. D’ailleurs, n’avons-nous pas de très nombreuses similitudes avec les sociétés antiques ? Il semble du moins que nous soyons plus proches d’elles que du Moyen-âge. Et Nietzsche, en 1883, n’annonçait-il pas « Dieu est mort » pour exprimer l’entrée dans un monde où les valeurs morales de l’Homme avaient disparu ? On peut avoir l’impression de se trouver aujourd’hui dans une « phase descendante », où l’Homme a besoin de nouveaux repères auxquels s’attacher, dans un monde où la recherche extrême de l’égalité – et non de l’équité ! – conduit peu à peu à l’effacement des différences, à la perte d’identité – n’oublions pas que l’Homme se construit ainsi : je suis moi car je diffère de l’autre – à l’acculturation de masse et donc à l’uniformisation de la société ; l’individualisme restant le seul rempart pour garder encore sa spécificité propre.
Évidemment, si l’on pouvait éviter de passer par une guerre ou une dictature pour aboutir à une société neuve et tolérante, ce serait l’idéal. Mais tout ce que je dis n’est que conjectures et divagations de l’esprit : après tout, j’espère sincèrement me tromper. Dans tous les cas, ne vous inquiétez pas : si une horde de morts-vivants s’avise un jour de nous tomber sur la casquette, nous avons un Daryl. Et puis, dans la vie, tout finit toujours par s’arranger… même mal. (Dixit Nemo Nobody).
A lire absolument si ce n’est déjà fait : L’Ere du Vide, Gilles Lipovetsky ; Le Déclin : La crise de l’Union européenne et la chute de la république romaine, analogies historiques, David Engels ; le must de la littérature dystopique (Wells, Zamiatine, Orwell, Huxley, Matheson, Asimov et compagnie) et les bandes-dessinées SOS Bonheur de Van Hamme et Griffo, et V pour Vendetta d’Alan Moore.
A voir : Metropolis, Fritz Lang ; Soleil Vert, Fleischer ; et tout plein de films détendants comme eXistenZ, Oblivion, Hunger Games, etc…