Only Lovers Left Alive : Love, Blood and Rock’n’Roll !

Quasiment un an après sa sortie à Cannes, Only Lovers Left Alive arrive enfin dans les salles françaises. L’occasion d’aller prendre le temps de vivre en s’installant dans un beau fauteuil rouge pour apprécier à sa juste valeur ce film vampirique, à des années-lumières des clichés du genre portés par la génération Twilight.

Deux silhouettes longues et minces, glissant comme des ectoplasmes magnifiques, traversent les rues de Tanger, roulent dans la nuit abandonnée de Detroit, dansent lentement au rythme de Can’t Hardly Stand It de Charly Feathers toussoté par un vinyle d’un autre âge… Deux êtres portés à travers le temps par un amour immuable, deux intellectuels à la culture extraordinaire et au regard désabusé sur une société de « zombies », qui tentent de survivre à leur temps. Adam, d’abord, un compositeur de musique solitaire, une « fripouille romantique et suicidaire », observant les ruines sombres de Detroit à travers ses lourds rideaux; et Eve, qui dévore la littérature de tous pays et déambule, fantomatique, dans les rues de Tanger, soutenant son vieil ami Christopher Marlowe, à qui Shakespeare aurait emprunté ses idées, cinq siècles plus tôt. Si imposants, mais si fragiles lorsqu’ils sont séparés, leurs retrouvailles vont magnifier leur beauté et, ensemble, leur amour silencieux et éternel va les porter à hauteur des couples légendaires, que tout tente d’ébranler mais qui, toujours, d’une force commune, se relèvent à nouveau. Temps, distance, petite sœur insupportable, problèmes inhérents aux vampires qu’ils sont : rien n’épargne Adam et Eve durant leur tranche de vie rapportée à l’écran. Et eux, comme un seul arbre millénaire, vacillent sereinement sous les bourrasques du quotidien.

Avec tristesse, pitié, tendresse ou humour, Jim Jarmush (Dead Man, Broken Flowers) offre une vision dénuée d’artifice sur l’amour, le temps, et la société. Emporté par la musique aérienne de Jozef Van Wissem et de SQÜRL (Jim Jarmush himself), alliant envolées de guitares électriques et luth apaisant, les amants évoluent dans un univers crépusculaire à l’image extrêmement soignée, qui invite à la contemplation. La mise en scène demande de se laisser porter, de ne pas brusquer les fantômes au risque de les voir s’évanouir dans la nuit, de prendre le temps de vivre au rythme de ces êtres séculaires, dont la sagesse est intimement liée au temps.

Adam et Eve sont incarnés à la perfection par deux acteurs aux traits fins et gracieux, taillés dans le marbre : Tilda Swinton (We Need To Talk About Kevin, Moonrise Kingdom) longue et majestueuse, et Tom Hiddleston (The Avengers, The Deep Blue Sea), à la silhouette élancée et au regard perçant. Tous deux réussissent avec brio à donner à leurs personnages aux airs si jeunes la substance impalpable caractéristique des personnes que seuls l’âge et l’expérience ont pu modeler – un mélange de sagesse, de bienveillance, et un regard aiguisé sur le monde. De même, Ava, la petite sœur irritante, est extrêmement crédible sous les traits de Mia Wasikowska (Alice au Pays des Merveilles, Jane Eyre), tout comme le sont d’ailleurs l’écrivain Christopher Marlowe (John Hurt) et le zombie Ian (Anton Yelchin).

Only Lovers Left Alive est donc si éloigné des clichés vampiriques décuplés sous l’ère « twilightienne » que l’on pourrait presque considérer leur « caractéristique » comme secondaire par rapport au propos général de l’œuvre. De même, Jarmush réussit, en n’entrant jamais dans la guimauve indigeste, à donner une vision positive et poignante de l’Amour, à porter à l’écran la Beauté même et à donner une véritable claque – ou du moins une sacrée leçon de vie – au spectateur. Cependant, si vous n’êtes ni sensibles à l’esthétisme, ni à la musique, ni aux performances des acteurs, ni à la réflexion portée par le film, et que vous vous ennuyez profondément, alors je ne peux plus rien pour vous.

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