Chaque année, le festival des Vieilles Charrues, devenu le plus grand en France, avec sa réputation et sa capacité d’accueil du public, fait l’objet de grands débats de par ses habitués et ses détracteurs. Quand les uns voudraient y voir Daft Punk – un rêve pourtant presque irréalisable -, d’autres voudraient, chaque année, goûter à la surprise AC/DC qui remplacerait les infatigables Muse. Jean-Jacques Toux voyage toute l’année à travers la France et le monde pour trouver les artistes qui vous feront fourmiller sur les cinq scènes à Carhaix. Discussion avec le programmateur des Charrues.
EC : Les Vieilles Charrues perdurent. Avez-vous un secret de jeunesse pour l’expliquer ?
Jean-Jacques Toux, programmateur : D’un côté, la programmation est très large. On programme de My Chemical Brothers à Calogero. On aborde plein de couleurs, le rock, l’électro, la pop, la chanson française, la world musique, le reggae… De l’autre, c’est une expérience unique. Quand on ne l’a pas vécue, on ne peut l’imaginer. Les Charrues, c’est une programmation qui va toucher toutes les tranches d’âge. L’association des Vieilles Charrues est un projet collectif dirigé par 6 000 bénévoles avec toute une région derrière le festival. C’est une grande fierté d’y appartenir.
EC : Et dans cette sélection d’artistes, vous êtes deux aux commandes. Comment vous partagez-vous la tâche ?
J-J.T. : Avec Jeanne Rucet, la co-programmatrice, on traite tous les « dossiers » ensemble. Toute l’année, on voit plein de concerts ensemble et séparément. Quand on se met à discuter, si l’un n’est pas d’accord de miser sur tel ou tel groupe, on n’y va pas. On suit la négociation ensemble jusqu’au bout.
EC : Cette 24e édition a-t-elle une saveur particulière ?
J-J.T. : Une potion magique ! Ce serait un mélange fort. Dedans, il y aurait du pineau, mais en même temps ça peut être doux et rigolo. D’ailleurs, en parlant de potion, le thème cette année, c’est « bienvenue a pays des merveilles » donc ça colle bien.
EC : Quels sont vos artistes coups de cœur qu’il faudra absolument aller voir et écouter cette année ?
J-J.T. : Le samedi 18 juillet, les spectateurs pourront découvrir une jeune artiste norvégienne qui s’appelle Aurora. Elle ouvrira le bal. Cette artiste, on l’a découverte au mois de janvier dans un festival aux Pays-Bas et elle est quasi-inconnue en France. Elle « pèserait » 15 billets chez nous, mais on a tellement craqué qu’on a décidé de la programmer sur une grosse scène [scène « Jack Kerouac », ndlr]. Elle jouera devant 30 000 personnes et là pour le coup, on parie notre chemise qu’elle va faire un carton. C’est une vraie prise de risque. C’est notre gros coup de cœur. Ensuite, on mise aussi sur Puts Marie, le dimanche, un jeune groupe de rock suisse, et Cabadzi, un nantais, le vendredi.
EC : Vous prenez donc quelques risques.
J-J.T. : C’est en tout cas l’idée. C’est vrai que quand on a discuté avec l’agent d’Aurora à propos d’ouvrir la deuxième plus grande scène du festival, on s’est longtemps demandé si on ne faisait pas une bêtise, si ce n’était pas trop tôt. Puis finalement, on a décidé d’un commun accord qu’il fallait y aller. Il faut prendre des risques quand on programme, sinon on n’avance pas, on régresse. Il faut surprendre le public. Il y aura notamment des petites surprises, dont une sur le concert de Pierre Lapointe, le vendredi soir. C’est clair que ça va surprendre visuellement.
EC : Pour ceux qui rêvent de programmer des artistes dans un festival : quelles sont les études à suivre ?
J-J.T. : Je fais partie de l’équipe de bénévoles qui a monté les Vieilles Charrues. J’ai donc démarré en tant que tel. A l’époque, je travaillais parallèlement en tant que visiteur médical, je bossais dans l’industrie pharmaceutique donc rien à voir… et puis je me suis retrouvé au fil du temps, programmateur. J’écoutais à la base beaucoup de musique, j’allais voir des concerts. Le festival n’avait pas vocation de devenir aussi grand, puis il a grandi de manière inattendue, et j’ai appris mon métier sur le tas. Aujourd’hui, il existe des filières qui préparent aux métiers du spectacle. Jeanne, ma collègue, en est issue. Être programmateur, c’est un métier passionné, où on bouge beaucoup, souvent au détriment de sa vie familiale. On est payé à écouter de la musique, mais dans un autre temps, il y a énormément de stress parce qu’on a un équilibre à atteindre. On doit remplir le festival entre 170 000 et 180 000 spectateurs pour ne pas perdre de l’argent. Il faut faire des choix avec précaution. Et quand le festival arrive et que les artistes sur lesquels on avait pris des risques jouent, quand le public lève les bras à l’unisson, ça recharge les batteries, c’est fabuleux, ça nous donne beaucoup de force pour les années suivantes.
EC : De nombreuses manifestations culturelles ont disparu cette année. Quelle est votre réaction à propos ?
J-J.T. : C’est bien triste. Qu’ils soient petits ou grands, c’est avant tout la passion de la musique qui est au cœur du sujet. Quand un événement culturel disparait, j’ai l’impression que c’est un peu de liberté qui s’en va. Si la plupart des festivals disparaissent aussi, c’est parce que des subventions publiques ont été supprimées. Depuis le début, aux Vieilles Charrues, on a une position un peu différente. On reçoit très peu de subventions publiques. On a un budget de 13 millions d’euros sur le festival. Et seulement 10 000 euros de subventions de la part de la région Bretagne sur notre label [« Label Charrues », ndlr]. Ça représente à l’échelle du festival une demi-cacahuète. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas pour tout le monde. En décidant de se financer autrement en 1992, notamment par des mécénats, on se dit que ce n’était peut-être pas une mauvaise idée.
Ça roxe aux Eurockéennes !Jean-Jacques Toux confiait retrouver sur les autres festivals d'été, ses collègues, amis et autres programmateurs de festivals. Cette année encore, il était aux Eurockéennes de Belfort, "un rendez-vous incontournable" qui proposait, il le dit, "une superbe line-up". "J'y vais d'ailleurs en partie pour les petits groupes, pour les découvrir", ajoutait-il.