Octave Minds, c’est la collaboration atypique entre le pianiste recordman mondial du plus long concert et le fondateur du label techno Boysnoize Records. Octave Minds par Octave Minds sort ce lundi 15 septembre, et à notre avis, il vous le faut.
Alexander Ridha, aka Boys Noize, donne depuis presque une décennie dans la musique électronique allemande, dans la dance furieuse et vandale. Chilly Gonzales, lui, est un pianiste de formation classique qui n’a de cesse de s’insinuer dans le monde moderne de l’électro. Gonzales a notamment travaillé avec Feist, Housse de Racket, Katerine et même Daft Punk (Random Access Memories). Si Boys Noize avait déjà produit l’album de Chilly Gonzales, Ivory Tower, en 2010, le pianiste avait, lui, repris le morceau Working Together d’Alexander Ridha.
Parfois, dans un élan de pessimisme mal contrôlé, je m’énerve contre le monde, je proclame la mort de la musique, elle que je vois coincée dans une pop culture formatée par un classicisme violent, dictateur à en faire bander Louis XIV. Parfois donc, j’oublie que la musique est jouée, qu’elle est créée par des hommes, et qu’il arrive, par miracle, que ces hommes osent. La collaboration entre Boys Noize et Chilly Gonzales n’est pas une révolution, elle ne prend pas les armes, mais, simplement, elle est osée, elle fait ce qui n’aurait pas du être, un produit artistique anormal, étranger.
Ainsi, le hooligan de l’électro brutal a rencontré un pianiste, une subtilité, quelque chose d’inattendu. Boys Noize présente d’ordinaire un savoir faire quasi parfait pour vous envoyer des basses agressives, des beats assez lourds pour supporter l’héritage de la techno allemande, efficace, bête et méchante. Alexander est populaire, et je n’ai pas tendance à aimer les musiciens populaires, par principe, par ego mal taillé ou je ne sais quoi ; Octave Minds est là pour me recadrer, vite fait bien fait. L’album du duo est plus lent, plus délicat, et si l’on serait tenté de ne voir là que l’apport musical de Chilly Gonzales, le travail de Boys Noize semble également avoir grandi, comme si le producteur lui même avait compris l’importance de crier moins fort, de se taire, parfois, pour laisser respirer la musique, pour produire une ambiance, quelque chose d’assez intime pour que l’on s’en souvienne. Sur Projectonnist, cette idée de respiration est particulièrement présente, les silences sont importants, sacrés, et pourtant l’énergie de l’électro n’a pas disparu, au contraire, elle est magnifiée, plus surprenante, plus attirante aussi. Chilly Gonzales reprend lui des thèmes musicaux anciens, classiques, vole les triades et les harmonies pour les plonger dans notre époque, les redonner à un « maintenant » mobile. Si Octave Minds est un demi ovni, il n’en est pas moins tout à fait actuel ; il est électronique, il est moderne, le piano n’a pas remplacé Ableton® et les iMac®, soyons rassurés. Un morceau comme Together symbolise bien cette belle collaboration, jouant sur les styles, redonnant de l’élégance au travail de production. Together mêle les basses groovy, les rythmes purement dance à l’aspect délicat du piano, dont le son n’est quasiment pas modifié ; la pureté de l’instrument et les accords centenaires sont rehaussés par des effets vocaux made in Boys Noize.
Ni Alexander Ridha ni Chilly Gonzales ne se perdent, et il y a une mélancolie, sur In Silence notamment, un romantisme incroyable et mystique surélevé par des beats profonds et des effets audio usuels. Il n’y a pas de fracture musicale, on ne prêche pas ici un « c’était mieux avant », Octave Minds ne prêche rien, l’album ne se refuse rien et joue de l’atemporalité de la musique, il décide qu’entre gammes et batterie synthétisée, entre ornements et vocodeur il n’y a pas de choix à faire. Forts de cette liberté musicale désinvolte, Chilly Gonzales et Boys Noize se payent même une incursion hip-hop en enrôlant le très bon Chance The Rapper sur l’entêtant et brillant Tap Dance. Ce morceau, comme l’album d’ailleurs, mord et relâche, tempête puis se repose, il accorde tant le repos que Boys Noize nous a toujours refusé, que la violence nécessaire à la musique contemporaine.
Il y a dans Octave Minds une clairvoyance stupéfiante, une compréhension de la musique et de la production qui seule permet d’oser altérer les codes, pas beaucoup, juste assez pour exister un peu mieux que les autres. Je l’ai dit, cet album n’est pas une rébellion, il s’agit simplement de s’affranchir pour faire plus, pour faire mieux. Il s’agit d’être un peu plus audacieux, de prendre le risque d’essayer des choses qui n’avaient pas l’air concevables. Je ne sais pas pourquoi Octave Minds existe, je ne sais pas pourquoi cette collaboration marche et je m’en fous ; je connais simplement l’importance, en musique du moins, de ce genre d’accès d’audace. C’est là ce qui permet de mieux contrôler son pessimisme.