Quelques semaines après la rentrée, Marseille reste inchangée : foulée par les touristes l’été, en automne elle s’échauffe pour accueillir les plus grands festivals de l’année.
L’année dernière, il placardait une programmation au croisement de la world music et du reggae, sa vocation. Au festival marseillais « La Fiesta des Suds », le public était au rendez-vous : 50 000 paires d’oreilles venues écouter les têtes d’affiches, parmi lesquelles Selah Sue, Christine and The Queens et les Chinese Man & Deluxe. Ce même public venu en nombre, et qui, quelques mois auparavant, déplorait « à la longue » le manque de « rock » et d’« électro » au programme du festival.
Et pour cette prochaine édition, la programmation n’a plus de secret pour personne. En invitant Minuit, dignes héritiers des Rita Mitsouko, le menu est pour le moins certifié éclectique. Le public se régalera avec Vaudou Game, qui est la sensation mystique afro-punk vaudou qui fait le tour des festivals français depuis le début de l’année. Cette découverte affriolante fait suite à leur fringuant succès, l’année dernière, au festival défricheur « Les Trans Musicales » à Rennes. Et si vous êtes encore en reste, c’est vers le samedi que votre intérêt devra se tourner avec la programmation du duo The Dø et AaRON, sans oublier Aufgang, et des balkaniques Kadebostany qui sont les favoris des programmateurs du Sud-Est de la France.

Au centre de cette effervescence de sonorités et de noms de scènes, une personne qui répond au nom de Bernard Aubert. Il est le directeur artistique de la Fiesta des Suds, et il se confie sur son succès.
Quel est votre secret pour faire perdurer le festival ?
Bernard Aubert : Il y en a plusieurs je pense. On est toujours dans des lieux atypiques et étonnants donc ça plait aux gens de venir se promener à Marseille. Il y a la Joliette avec le MuCEM, le J4… Bref, une quantité de lieux. Nous, on s’est installé depuis quelques années dans une ancienne réserve de sucres de l’Océan Indien qui s’appelle le Dock des Suds. Cette réserve, elle marque les gens : ils ne viennent pas dans un lieu de concert traditionnel. La deuxième chose, c’est que ça leur parle parce qu’au cœur du sujet, ce sont les musiques du monde. Et il y a un mélange de public qui se fait depuis le début, avec de la musique traditionnelle ou bien de la musique électronique. Si on regarde toutes nos programmations depuis le début, c’est ça : trouver un aller-retour entre le passé et le futur.
Vous laissez la part belle à vos coups de cœur. Certains connaissent déjà la notoriété, d’autres moins. Cette année, c’est le cas de Baja Frequencia et Elida Almeida. Comment les artistes ont-ils la possibilité se frayer un chemin à vos oreilles ?
Bernard Aubert : Pour ça, il y a deux événements que j’organise dans l’année. Il y en a un, c’est pour les artistes qui démarrent leur carrière ou qui sont un peu plus reconnus, c’est le Babel Med Music. Il se déroule fin mars. Sinon pour la Fiesta, il faut qu’ils se proposent de manière spontanée ; on n’a pas de tremplin de jeunes groupes qui démarrent mais ils peuvent venir nous voir sans souci.
Avez-vous des regrets sur des artistes manqués à la Fiesta des Suds ?
Bernard Aubert : Dans les petits groupes, mais une perle, il y a Balthazar que j’aurais aimé faire en 2013. Il y a beaucoup de passages manqués que j’aurais aimé saisir. Il y avait David Bowie qui devait faire quelque chose dans la région, doP qu’on aurait aimé avoir pour une carte blanche au Dock. C’est difficile parfois de tout coordonner parce qu’on a l’avantage que l’événement se déroule en fin d’année. Ça nous permet de faire des bilans sur ce qui a marché dans l’année mais l’inconvénient c’est qu’on n’attrape pas toujours les tournées qui nous permettent d’avoir des artistes. Et comme on n’a pas envie non plus de ressembler aux festivals d’été avec les mêmes programmations, c’est difficile de trouver quelque chose d’original. Pour retrouver ce côté justement, on essaye de mettre à l’affiche un invité d’honneur qui partage la scène avec qui bon lui semble.
« Ici, le public s’approprie la Fiesta »
Il ne faut pas l’oublier, à la Fiesta, il n’y pas que de la musique. Vous proposez aussi de nous propulser vers une nouvelle culture artistique.
Bernard Aubert : Cet intérêt pour les arts existe depuis longtemps à la Fiesta parce qu’on a été en collaboration avec plusieurs écoles d’art. On a toujours voulu inviter des artistes. Toute l’année, on invite des artistes où le Dock peut servir de lieu d’exposition. L’année dernière, Célio Silva et Ney, des brésiliens qui ont tout un collectif de peintres à Rio de Janeiro. Une fois leurs œuvres vendues, l’argent récupéré est donné pour la création de trois écoles dans la capitale brésilienne.

En 2013, Marseille devenait la capitale européenne de la culture. Comment vous la ressentez cette efflorescence culturelle dans la ville ?
Bernard Aubert : J’espère que ça va continuer… « L’élite » marseillaise, politique ou décisionnaire, s’est aperçue que la culture permet, et à moindre coûts, de faire parler d’une ville, de donner une image positive de cette ville. Espérons que les années suivantes, cet élan sera donné. Simplement, il ne faut pas que Marseille imite les autres villes lauréates, comme Berlin au niveau de ses architectures. Il faut trouver de l’originalité. Et une de ses originalités à Marseille, c’est sa scène rap, qu’on a un temps oublié en 2013. Et sa scène électronique qu’on néglige trop souvent. Donc il y a encore du travail à faire en 2015 sur une impulsion culturelle régionale à donner et être capable, effectivement, d’organiser des événements sur des sites atypiques. Il manque toujours un lieu de concert l’été à Marseille et c’est quelque chose d’incroyable pour une telle ville.
Bernard Aubert, quel est le premier festival que vous avez fréquenté ?
Bernard Aubert : C’était à Aix-en-Provence, une tentative de faire un Woodstock mais qui ne s’était pas bien terminée avec des affrontements à l’extérieur. Quand j’étais petit, j’avais un grand-père qui m’emmenait dans tous les carnavals et ferias, j’en garde encore de super souvenirs. Mais mon premier concert qui m’a marqué c’est quand même Fela Kuti, dans les arènes de Nîmes. On était 15 000 devant un monsieur qui n’était pas très correct envers les femmes, mais musicalement qui était incroyable. Son concert a duré six heures !

> « La Fiesta des Suds », au Dock des Suds à Marseille ; du 14 au 17 octobre. 24e édition amoureuse de l’amour : « Et si cette année, encore plus que les autres, pour narguer l’âpreté de l’actualité, on s’aimait ouvertement, sincèrement, follement ? », précise leur communiqué de presse. + d’infos et tarifs : dock-des-suds.org.
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