Feu! Chatterton, poésie contemporaine

Le groupe français Feu! Chatterton sortait son premier EP le 10 septembre dernier. Entre poésie, références classiques et guitares intenses, voilà ce qu’on en pense.

« Qui pour chroniquer Feu! Chatterton ? ». Ça a commencé comme ça, et parce que je suis quelqu’un de sympa et généreux dans une époque post-moderne vendue aux égocentrés, je me suis portée volontaire ; de rien. J’avais pourtant une mauvaise image de Feu! Chatterton, de ces dandys anachroniques et de ce chanteur à la voix pompeuse. Et bien sûr, pour m’humilier, voilà qu’après deux morceaux écoutés très attentivement, carnet en main et bic tout agité, Feu! Chatterton m’embarque dans son voyage sombre et romantique, dans un monde post-apocalyptique où la poésie n’est pas emphatique mais intense, où tout est étrange sans cesser d’être subtilement beau et sauvage.

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L’EP éponyme de Feu! Chatterton s’ouvre sur Côte Concorde, une sorte de manifeste socio-romantique à la fois dans et hors du monde, que l’on observe depuis cette « lagune » onirique et lointaine. On saisit là l’habileté poétique du groupe, qui sait choisir un mot pour sa forme, pour les images intuitives qu’il entraîne, rappelant ainsi ce que la chanson française fait de mieux, évoquant Gainsbourg, Ferré ou Brel. Si l’on se permet de telles comparaisons aux abords simplistes, c’est aussi parce que la voix du chanteur Arthur ne nous en laisse pas le choix. Il y a en effet une intensité rare dans le chant de Feu! Chatterton, quelque chose d’incroyablement touchant, à la fois pur à l’extrême et d’une noirceur évidente. Sur A l’Aube comme dans La Malinche, la voix se fait d’abord lente, lancinante même, et sur le rythme du spoken word elle s’énerve, elle explose, rageuse et biliaire. Certains mots, certaines phrases sont prononcés à plusieurs reprises, répétés pour mieux cogner, et dans une alternance de silences, de déflagrations électrisées et d’envolées a capella, Feu! Chatterton parvient à créer une ambiance déchirante.

Les quatre morceaux qui composent l’EP sont construits sur le même modèle, sur ce rythme progressif et circulaire, sur des accords de guitare et des riffs simples et très électriques. Le groupe n’est d’ailleurs définitivement pas anachronique, il sait utiliser les nappes électroniques, il connait l’importance des refrains percutants et saisit l’intense puissance du rock. Mais s’il fallait une comparaison, une seule, ce serait Noir Désir. Non pas spécialement pour la musique, mais simplement parce que Feu! Chatterton oscille entre repos et colère avec une force, une virilité bancale incroyable, tout simplement parce que les inflexions rageuses d’Arthur claquent à la manière de Bertrand Cantat. Sur le slow nocturne et citadin L’Heure Dense, comme sur le poème d’amitié A l’Aube, le groupe met de la poésie dans les discours, magnifie des thèmes modernes, urbains, sombres.

Feu! Chatterton n’a pas à soutenir la comparaison avec Fauve sous le simple prétexte qu’ils ont fait leur première partie au Bataclan. Non, car Feu! Chatterton n’est pas Fauve, car Feu! Chatterton n’est pas bourgeois-bohème. Non, car Feu! Chatterton est poétique, car Feu! Chatterton est plus complexe, qu’il a choisi une ambiance onirique et lointaine. Oui, parce que scander des mantras, parler encore et encore de la difficulté de la « prime adolescence », de la « vie domestique », des doutes à la con d’une époque bordélique, admettre de perdre, de ne pas tout comprendre, évoquer ceux qui partent et ceux qui « reste[nt] à Paname », faire des déclarations à qui veut bien les entendre, c’est Feu! Chatterton autant que Fauve. La manière, le style est différent, bien sûr, évidemment ; Feu! Chatterton n’est pas Fauve, et il n’en a pas besoin. Feu! Chatterton est bon. Comme quoi il n’y a pas que la secte bobo-parisienne-autocentrée qui sait y faire.

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