Breton avait son chez soi, son squat londonien, Breton avait son lab, cet endroit secret et personnel depuis lequel les musiciens étaient à l’abri, là où ils avaient construit Other People’s Problems. Le Lab a été détruit, Breton se devait de reconstruire. Pour leur second album, War Room Stories, le collectif a déménagé en Allemagne, à Funkhaus, au milieu de nulle part, dans le ciment brut, loin de la lumière, seul ; à vide.
Breton livre donc un album sorti du laid, de la dureté, comme un produit post-apocalyptique. On est là face à un disque à l’apparence industrielle, souvent chaotique, toujours expérimental et pourtant, incroyablement structuré. D’Envy à Fifteen Minutes, il y a continuité, c’est un album construit, emprunt d’une éblouissante alchimie. Les cinq musiciens m’inspirent dans ces nouveaux morceaux un paradoxe formidable, parce qu’ils n’ont rien perdu de la rage, la rage urbaine, méchante et criarde que balancent les cordes, les nappes de synthés superposées, la voix râleuse de Roman Rappak. Pourtant c’est un disque fashionable, au potentiel tubesque incroyable, sublime, à la Foals.
Faire de la musique c’est être barge, fou à lier, savoir tout perdre et considérer que c’est une victoire, toujours. Sur son premier morceau, Envy, Breton affirme son existence, son pouvoir, son contrôle, capable d’envoyer un tube funky, dansant, comme un hymne festif et entêtant. Maitriser le chaos, c’est savoir utiliser couplet/refrain, slogans abruptes, sans laisser tomber ce râle, cette plainte du chant, cette identité nécessaire.
Breton puise dans les bruits ambiants, plonge dans les sonorités psychés, synthétisées et lunaires. War Room Stories prend les codes électro, le distorter effect, les samples housy et part en guerre, vers le rock, dans le rock dur, qui fait mal, qui blesse, à l’image de S4, morceau cyclique, répétitif, torturé. Il s’agit je crois pour le collectif d’une aventure, de la mobilisation de cinq barges en transe qui superposent nappes sur nappes, capables de livrer une ballade house comme Legs & Arms. On parle évidemment de surréalisme, influence à l’origine de leur nom. Surréaliste parce qu’ils sont partis, ailleurs, qu’ils abordent la pop comme une jolie fille dans la rue, qu’ils bouleversent les cordes et le piano. War Room Stories, c’est comme plonger dans une dépression et sortir vainqueur, être devenu le lauréat, parce que Breton s’énerve, se frappe, possède son bordel musical entre colère et repos, rage et pacifisme, à l’image de National Grid. Le collectif prouve qu’il est capable de faire un tube, de contrôler, du funk de Search Party au lyrisme trip-hop de Brothers.
A l’écoute de l’album, je décolle, seule, un peu perdue dans une cave où les notions d’espoir et de désespoir ont disparu, avec la sensation d’avoir compris quelque chose que je ne sais pourtant pas. Breton réussi donc sa mélancolie bilieuse, puissance électronique d’un collectif qui se fout du résultat de la guerre qu’ils annoncent.
Sortie prévue le 3 février, d’ores et déjà en écoute sur Spotify.