Billet d’humeur #1 : Quid des médias de masse

Je n’ai jamais aimé janvier. Janvier est froid, long, et mélancolique, et cette année, ce mois est devenu un symbole. Un mois de janvier pareil, c’est du pain béni pour les journalistes. Je laisse aux autres les discussions bien sympas sur la religion, l’éducation et l’intégration ; moi, je préfère débattre seule de la question de l’information continue.

Je me suis promis de ne jamais regarder certains programmes télé, parmi lesquels BFM TV, I>télé et Les Princes de l’Amour. C’est une question de principe, je ne veux pas, et pour rien au monde, faire partie de la masse. Mais le mercredi 7 janvier, j’ai passé ma journée devant I>télé, je me suis retrouvée à guetter depuis mon canapé chaque rebondissement, chaque information, si conne soit-elle. J’étais noyée dans un suspens intenable par une narration romanesque, bercée par l’ivresse de vivre l’Histoire.

J’ai d’abord eu un peu honte, au point de m’employer à paraître détachée, comme si j’étais au-dessus de tout ça : « ouais non j’ai pas tout suivi, j’achèterai Le Monde demain matin ». Mais comme parfois il m’arrive d’être honnête, j’ai avoué comme une gosse : « ça fait 8h que je suis devant I>télé, j’ai même zappé sur BFM pendant la pub ».

Reste à savoir pourquoi. Pourquoi avons-nous été si nombreux scotchés devant notre télévision à attendre, à vouloir tout savoir, et tout de suite ? J’ai accepté de revoir les mêmes images commentées par les mêmes mots, sortis de la bouche des mêmes journalistes, j’ai laissé libre cours à ma curiosité, et finalement, à tout ce qui me dégoûte chez ces gens que je méprise : les 7 et 9 Janvier, j’étais la « masse ».

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Certains diront que les chaines d’info continue reposent sur la notion du « devoir d’informer », et que par conséquent il est parfaitement légitime que BFM ou I>télé traitent l’actualité de cette manière, en immédiateté, avec cette volonté terrible de garder le téléspectateur le plus longtemps possible. Peut-on finalement leur en vouloir d’être des médias de masse destinés à informer le plus grand nombre ? Peut-on réellement reprocher à une entreprise médiatique de vouloir gagner de l’argent en préférant élargir son audience plutôt que d’améliorer la qualité de son information ? Loin de ces vieilles théories adorniennes qui nous avertissaient déjà il y a plus de cinquante ans des dangers des médias de masse, des contenus uniformisés et des industries médiatiques capitalistes. Il semble que nous oublions quelque chose, juste un léger détail.

Je ne fais pas partie de ceux qui aiment défendre les gens, et je peux même concéder un certain snobisme quand ils se mettent à proférer des conneries. Pourtant, le problème de l’information de masse n’est pas de savoir si oui ou non elle est légitime, si oui ou non il s’agit bien là de journalisme, ni même de savoir si son influence est déplorable ou non. Ce qu’il faut admettre, c’est que nous, téléspectateurs, sommes tous capables de faire preuve de libre-arbitre, et que ce libre-arbitre s’accompagne toujours de responsabilités. Appelons-les « devoir », « morale », « citoyenneté » ; peu importe, il s’agit bien là de la même idée. Nous sommes tous des êtres de réflexion, nous ne sommes pas condamnés à la passivité éternelle et débilisante. Mais ce pouvoir de l’audience, qu’évoquaient déjà les Cultural Studies et Stuart Hall, se choisit, se saisit et s’exerce. Voila quelle est notre tâche. Nous ne pouvons pas critiquer l’information de masse si nous nous y complaisons, si nous ne prenons pas de recul, et c’est à nous que revient le devoir de réfléchir à ce que nous regardons, à comment nous nous informons, c’est à nous de prendre nos responsabilités, de trier les contenus, de nous interroger encore un peu plus chaque jour. Parce que rien n’est anodin, parce que rien n’est simplement l’affaire des autres.

Alors, voici les questions que je me pose, voici les questions que nous devons tous nous poser : était-il nécessaire de connaître immédiatement le nom de chacun des morts ? de voir en images leurs amis bouleversés ? de rester immobile tandis qu’on nous livrait les moindres détails de la scène à Charlie Hebdo et à Vincennes ?était-il nécessaire d’entendre les experts expliquer le pourquoi du comment ?

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Est-il nécessaire de tout connaitre, tout savoir, tout voir, et avant les autres ? Si cela vous est nécessaire, si vous y avez réfléchi, alors vous avez pris vos responsabilités.

Seulement parfois, nous méritons d’être traités unilatéralement comme une « masse », parce que nous nous comportons comme tel, parce que nous cessons de faire l’effort, parce que nous baissons les bras quand pourtant nous pouvons résister, quand nous pouvons choisir de résister : le procès n’est pas à faire aux médias, mais aux récepteurs, à nous.

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