Début avril, Jay Z présentait sa « nouvelle » plateforme de streaming musical, TIDAL. L’idée ? Révolutionner la musique, revaloriser l’artiste et bouleverser les rapports de force. Nous n’y avons vu qu’un bon vieux plan de com’.
Étape n°1 : maitriser l’auguste Plan de communication. On ne conquiert pas les publics avec de la bonne volonté et quelques idées sensées ; ce qu’il faut, c’est du mépris et de la suffisance, de l’argent et des réseaux. C’est tout. Voilà ce que le capitalisme a fait de mieux, nous donner l’impression que nous faisons nos propres choix, que rien de tout cela n’est imposé, et qu’après tout, « si ça te plait pas, consomme pas ». Or nous n’avons là aucun pouvoir décisionnel, nous sommes assujettis à la Communication qui a déjà anticipé le moindre de nos comportements. Il suffit donc au Conquistador de maquiller son entreprise en « création » nécessaire, en « innovation » visionnaire. Voilà donc Jay Z et son TIDAL.
Voyez-vous c’est très simple : réunissez une dizaine d’artistes mondialement connus (Kanye West, Madonna, Rihanna, Alicia Keys, Chris Martin, Jack White, Beyoncé, Arcade Fire, Calvin Harris etc) et demandez-leur de remplacer leur photo de profil sur les réseaux sociaux par un fond bleu fluo, code couleur de TIDAL. Ensuite, affirmez que vous voulez changer le futur de la musique, mettez-y les moyens financiers, maximisez votre profit et remboursez-vous illico. Il se pourrait même qu’on vous érige un autel pour avoir sauvez la Culture d’un délitement certain. #TIDALforALL
Étape n°2 : que les médias parlent de vous. Les médias contemporains n’ont de cesse de consacrer les professionnels de la communication, les pseudo-visionnaires de la grande Ère Numérique. TIDAL pose un si grand nombre de problèmes qu’il est difficile de comprendre son « succès » médiatique. De Konbini aux Inrocks en passant par le New York Times, les articles à son sujet sont pourtant largement emprunts de scepticisme. Malgré nous, nous devenons donc les communicants favoris de Jay Z, peu importe notre avis, peu importe nos critiques. Pour preuve, la plateforme musicale est disponible aux Etats-Unis depuis septembre dernier, mais c’est bien en avril que les médias s’y sont plus massivement intéressés. On ne choisit plus les agendas, et même les cadrages ne sont plus suffisants pour s’opposer à la dictature communicationnelle. Un article sur TIDAL n’est rien d’autre qu’un référencement de plus.
Seulement ce que vous propose TIDAL, finalement -on a tendance à oublier qu’il s’agit de musique-, c’est du format FLAC (Free Lostless Audio Codec) pour 10 euros de plus par mois.
Et il se trouve que le format FLAC n’est intéressant que pour ceux qui possèdent l’équipement nécessaire. Il est revanche inutile à tous ceux qui consomment la musique via leurs écouteurs Apple ou leurs enceintes Logitech. Le prix exorbitant de l’abonnement TIDAL a d’ailleurs été critiqué par Lilly Allen, qui craint une recrudescence du piratage.
TIDAL est aussi, apparement, un moyen privilégié d’obtenir des « exclusivités ». On nous propose donc de payer pour être illégitimement pris en otage, ou mieux, pour soutenir financièrement les artistes les mieux rémunérés de la planète. Car pour Jay Z, il s’agit bien là de « revaloriser » les producteurs de contenus.
« Everywhere else, everyone gets compensated for their work. The content creator should be compensated, it’s only fair »- Jay Z
Effectivement, le statut d’artiste est intrinsèquement précaire, mais il serait dommageable d’oublier qu’il est également traversé par de profondes disparités. Par ailleurs, le streaming musical reste aujourd’hui le meilleur moyen pour un artiste de gagner de l’argent, et il est donc difficile de comprendre cette rébellion passagère contre l’Industrie musicale. À l’entendre, Jay Z serait à l’initiative d’une véritable « révolution musicale », élément de langage sans véritable définition. Il y a quelques mois, Taylor Swift s’était indignée contre Spotify et avait fait retirer de leur catalogue tous ses albums. Aujourd’hui, c’est l’oligopole musicale qui entend « modifier les rapports de force ». Si certains, comme Mumford & Sons, restent dubitatifs, les artistes associés à TIDAL n’en diront aucun mal. Effectivement, le modèle de la plateforme fait d’eux des actionnaires à part entière de l’entreprise. Peut-être devrions-nous donc plutôt faire un don au groupe qui répète tous les soirs dans son garage en bas de chez nous.
« Bigger bands have other ways of making money, so I don’t think you can complain. When they say it’s artist-owned, it’s owned by those rich, wealthy artists… » – Marcus Mumford
Voilà ce qu’est TIDAL, un « coup » marketing impeccable, un foutage de gueule classieux, qui en plus de nous prendre pour des bons gros abrutis, nous fait croire qu’une révolution musicale est en route. TIDAL ne court-circuite en rien les maisons de disques ou l’Industrie Capitaliste : la musique est un bien de consommation comme les autres. Et à sa base, nous, les consommateurs. #TIDALforNOONE